Visite chez Vinyes Singulars

Visite chez Vinyes Singulars

Catalogne, 10 Octobre 2022 

Au cœur de la petite et paisible commune de Pacs, dans la province de Barcelone, se trouve l’irréductible domaine Vinyes Singulars. Du haut de sa colline, tel le village d’Astérix le gaulois, le domaine familial est entouré des géants du vin du Penedès : Torres, Parès Balta et Lo-Xarel. Et pourtant, le vigneron Ignasi Segui est loin de tomber dans le vin industriel et commercial. Très loin. Chez lui, tout est fait de façon 100% naturelle, de la vigne à la bouteille et les vins sont délicieusement vibrants. 

La petite histoire

L’infatigable vigneron a commencé à élaborer ses vins en 2009. C’est son père, Ignasio, qui dirige le domaine avant lui. Avec quelques employés, les terres sont principalement plantées de céréales et les raisins sont vendus, comme le sont la grande majorité des raisins dans le Penedès. C’est 90% de la production des raisins de la région qui va aux gros producteurs de Cava, la bulle de méthode traditionnelle qui fait la renommée de la région.

Avant de reprendre les terres familiales, Ignasi Segui a longtemps cherché sa voie et exécuté plusieurs petits boulots, tout pour ne pas être à la maison. C’est son meilleur ami, qu’il qualifie de mauvaise influence avec humour, qui l’a incité à travailler dans le vin. Les vignes et les terres sont déjà là, dans la famille depuis près de 600 ans. Il ne manque que l’équipement de vinification et d’élevage. Avec du recul, le vigneron avoue humblement qu’à ses débuts il ne sait pas trop ce qu’il fait. Par contre, dès ses premiers pas, il est très clair pour lui qu’il doit travailler de façon 100% naturelle et surtout de façon indépendante. À titre d’exemple, sa nouvelle cuvée Menaxatrua (jeu de mot pour dire Ménage à trois avec l’accent catalan) est une délicieuse bulle avec laquelle il est allé chercher l’appellation Cava. Lui qui prône l’indépendance a toujours mis de l’avant les pétillants naturels qu’il maîtrise à la perfection. Alors pourquoi vouloir entrer dans l’appellation Cava? Et bien simplement pour démontrer qu’il est possible de faire un excellent Cava sans utiliser de soufre. 

Homme de peu de mots et très pratico-pratique, rien n’est laissé au hasard dans son quotidien. Il est méticuleux, très réfléchi, analyse beaucoup et apprend sans cesse de ses expérimentations. Parlez-lui du panneau électrique qu’il a conçu pour son chai et les heures qu’il a mis à le réaliser et à le mettre en place. «Mieux vaut comprendre et faire lentement soi-même que d’acheter à forts coûts et toujours déléguer aux autres».  

Les vins qu’on s’arrache

Tous les vins, qu’ils soient rouges ou blancs, titrent généralement entre 11% et 12% d’alcool. À la vendange, on érafle tout et on ne travaille qu’avec les baies de raisins. Pour Ignasi, la rafle (branche de la grappe) augmente le pH du vin et donc, diminue son acidité et donne beaucoup de vert. Pour lui, qui cherche avant tout la finesse, la fraîcheur et l’expression du fruit des cépages, cette pratique est essentielle. Après, il laisse libre cours à son imagination et ses envies pour assembler blancs et rouges pour créer des cuvées extraordinaires. Son style se peaufine chaque année pour élaborer des vins frais mariant complexité et raffinement.

Saviez-vous qu’il peut faire plus d’une trentaine de cuvées par année? Saviez-vous que chaque bouteille est étiquetée à la main avec un outil artisanal en bois? Workaholic vous dites? Passionné et vaillant, ça, il n’y a aucun doute. Sur 2022, dû à une forte grêle historique en fin de saison, c’est près de 50% de la récolte qui est perdu et donc il y aura environ 20 cuvées. Il se considère tout de même chanceux, quelques voisins ont tout perdu. Avis aux connaisseurs, il n’y aura pas de Doble Plaer 2022, il va falloir vous assurer d’attraper du 2021.

Aujourd’hui, c’est 30 hectares de vignes que travaillent Ignasi avec l’aide du seul employé du domaine depuis près de 4 ans, Omar, originaire de la Gambie. L’idée, maintenant, n’est plus de planter de nouvelles vignes. Se considérant plutôt comme un paysan agriculteur qu’un viticulteur uniquement, il préfère la biodiversité et continuer l’aventure en plantant des arbres fruitiers. Déjà, les oliviers se font de plus en plus nombreux et viennent ceinturer les différentes parcelles de vignes pour créer des écosystèmes complets. Sous peu, ce seront des grenadiers que plantera Ignasi. 

La famille

Quand je me suis arrêté au domaine, on a dégorgé des pet'nats en matinée, avec Omar et Ignasi. À la pause lunch, c’est là que j’ai compris l’importance de la culture familiale du domaine. Sous l’immense arbre devant la villa, les enfants arrivent de l’école pour le dîner. Cousins et cousines qui courent partout. La sœur du vigneron, Mercedes, se joint à la grande tablée avec son mari. Au bout de la table, le grand-père qui a l’œil brillant de voir toute la famille réunie. La maman du vigneron apporte les plats à tout le monde. Son œil vif et intelligent indique qu’elle n’est pas que la cuisinière au domaine, oh non! Les poules se promènent en liberté, des dames jeannes sont dispersées le long de la clôture, le vigneron s’attaque à des rancios. Il cueille un citron de l’arbre tout près et nous prépare une dégustation de son nouveau vermouth naturel.

Homme de famille, il est très présent à la maison avec sa femme Ana et sa fille, Mar. C’est d’ailleurs elle qui est à l’origine de plusieurs des étiquettes des vins. Elle suit les traces de sa maman, très talentueuse artiste peintre, et explore les arts visuels. La belle naïveté des dessins ajoute la touche personnelle pour compléter l’idée du vigneron de faire de chaque vin, une œuvre complète. Et quand on déguste et qu’on lui demande quel est l’assemblage et quel pourcentage de chaque cépage, il va répondre, mais ce n’est pas ce qui l’anime. Ce n’est pas la fiche technique du vin qui lui importe, mais avant tout la philosophie derrière le travail, les méthodes d’agriculture des vignes, l’idée et l’expression du tout qu’est le vin en soi. 

Indépendance

Ignasi est à la tête de l’Association des vignerons indépendants de la Catalogne créée en 2021. Qu’est-ce qui caractérise les membres de cette association? Et bien pour en faire partie, il faut être un vignoble familial, les raisins doivent provenir de la famille et être vinifié par la famille. L’idée est de se démarquer des producteurs industriels très nombreux de la région et de donner une couleur plus identitaire aux vins artisans de la région. Dès la première année, ce sont 25 producteurs qui s’associent pour lancer le tout et déjà, fin 2022, ils sont tout près de 50. La démarche est d’ailleurs en cours pour transformer l’association non plus qu’à la Catalogne, mais à toute l’Espagne.


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