L'avènement du vin géorgien
Êtes-vous familier avec la Géorgie? Oui, le pays et non l'état. Parce que si vous êtes passionnés ou curieux de tout ce qui touche le monde du vin, et d'autant plus le vin nature, c'est un pays vinicole à connaître.. Absolument.
Pour se situer, la Géorgie se situe en bordure de la mer Noire, entre l’Europe de l’Est et l’Asie, dans la région du Caucase caractérisée par ses nombreuses montagnes s’allongeant sur une distance de 1200 km. La superficie totale du pays est de 69 700 km², soit environ 1/10 de celle de la France pour imager le tout et on y compte aujourd’hui un peu moins de 4 millions d’habitants. Le pays est en forte croissance économique et le vin, qui y est ancré dans l’histoire et la culture depuis fort longtemps (c’est peu dire), y joue un rôle prédominant.
Avec son voisin au sud, l’Arménie, la Géorgie est le pays où on retrouve les plus anciennes traces historiques de viticulture. On parle de 6000 ans avant notre bon ami J-C. Juste ça! En 2015, un projet d’études, mené conjointement par le Musée National de la Géorgie et l’Université de Toronto, a mené des scientifiques à découvrir d'anciens vases en argile datant de 8 000 ans. 8000 ans! Après analyses, il se trouve que les résidus à l’intérieur de ces récipients trouvés dans le sud-est du pays sont des restes de raisins et de pépins de raisins. Je crie VINO! Les chercheurs ont pu dater la trouvaille à 6000 ans avant notre ère. Voilà la Géorgie reconnue comme le premier lieu de vinification du raisin, le berceau du vin.
Alors pourquoi est-ce seulement depuis une vingtaine d’années que les vins géorgiens trouvent une popularité grandissante à l’international? Ils ont tout de même un historique en banque de quelques 8 000 vendanges après tout! Comment se fait-il que nous n‘en ayons pas dans nos coupes depuis belle lurette?
Il est important de savoir que bien que la production de vin ait toujours été importante au pays, avant d’obtenir son indépendance actuelle, la Géorgie faisait partie de l’URSS, soit de 1921 à 1991. Elle en était son principal fournisseur de vin et selon les dires de notre ami vigneron géorgien Beka Gotsadze : «Les Russes aimaient les vins rouges structurés et sucrés.» On comprend donc qu’avec le fort volume industriel produit afin de subvenir aux besoins de l’URSS, les méthodes ancestrales et artisanales de vinification en kvevri, la fameuse amphore traditionnelle (nous y reviendrons), laissent place à la production de masse et standardisée en cuves d’inox et en fûts de bois. On pense principalement en termes de quantité et la qualité en prend un coup.
Au début des années 2000, avec les problèmes entre la Géorgie et la Russie quant aux territoires d’Ossétie du Sud que la Russie s’octroie, cette dernière décrète, en 2006, un embargo sur les vins géorgiens qui dure jusqu’en 2013. Voilà donc que le géant consommateur des vins géorgiens ferme la porte, ce qui force les producteurs à devoir trouver de nouveaux marchés d’exportation. Un enjeu majeur, il va sans dire, mais qui saura profiter au rayonnement des vins géorgiens à l’international. Bim!
Les vignerons géorgiens se doivent de revoir la qualité de leur production et de mettre en valeur les caractéristiques locales et propres aux vins de la région. Le retour aux sources servira grandement les producteurs qui parviennent à charmer de nouveaux marchés à l’international avec des vins uniques aux nombreux cépages méconnus et issus de vinification traditionnelle en kvevri. À analyser les chiffres relatant l’exportation des vins géorgiens, on peut certainement dire que c’est pari réussi. En 2019, ce sont 93,4 millions de bouteilles de vins géorgiens qui sont exportées dans 53 pays par environ 341 producteurs pour une valeur totale de 238 millions de dollars.
Le vigneron géorgien derrière le domaine familial Gotsa que nous avons la chance de représenter ici au Québec, Beka Gotsadze, nous explique que le retour aux sources n’a jamais été bien loin, car même sous le régime de l’URSS, bon nombre de familles géorgiennes continuent de faire leur vin à la maison. Les vins rouges sucrés n’étant pas leur type de vin préféré, on élabore chez soi avec les vignes du jardin, les vins traditionnels pour la consommation familiale.
Aujourd’hui, en campagne, c’est encore le cas. La majorité des familles cultivent toujours leurs vignes dans le jardin afin d’élaborer le vin familial. Les maisons ont même généralement une marani, la pièce de la maison, voire le chai, qui est destinée à la fabrication et l’élevage du vin à chaque année. Et même dans les villes, on retrouve des familles cultivant leurs propres vignes et à Tbilissi, la capitale du pays, les cavistes sont fort nombreux.
Vins ambrés et Kvevri
Le vignoble de la Géorgie, qui occupe 450 000 hectares, est une mosaïque fort impressionnante avec ses 530 cépages recensés. Un système d’appellation y est instauré avec un contrôle sur les cépages utilisés, les rendements et la densité de plantation. En date du mois de juillet 2020, on parle de 25 appellations d'origine contrôlée. (AOP)
C’est dans l’Est du pays, dans la région de Kakheti, que se trouve la majeure partie de la production vinicole, dont la cave de nos amis chez Gotsa, nichée à 1300 mètres d’altitude. Pour cette portion du vignoble géorgien, on retrouve des vins rouges issus principalement du cépage saperavi et des vins blancs de macération du cépage rkatsiteli. Quelques autres cépages dominant de la région et que l’on retrouve en assemblage: mtsvane, kisi, khikhvi. Beaucoup de consonnes et peu de voyelles, n’est-ce pas? N’ayez pas peur, les noms de cépages se prononcent comme ils sont écrits. Prenez votre temps, c’est tout.
La portion Centre et Ouest du vignoble géorgien, qui se rapproche de la mer Noire, représente 30% de la production du pays. Les cépages dominants y sont, parmi de nombreux autres, le tsitska, le chkhaveri et le tsolikouri.
Oubliez le terme «vin orange» en Géorgie. Les vins blancs de macération, ça a toujours été et c’est typique de la région. On y parle plutôt de vins ambrés : «Les vins ambrés, ou orange comme vous dites chez vous. Les vins de longues macérations, c’est ça la Géorgie!» On comprend bien ce que veut dire Beka quand on goûte de telles cuvées dont il a le secret. Structure, caractère, profondeur et complexité aromatique, ce sont des vins qui s’accordent merveilleusement bien à une cuisine riche et qui ont de beaux potentiels de garde. Pour l’élaboration de ces vins ambrés, chez Gotsa, c’est 100% traditionnel et naturel : les raisins, les jus, les peaux, les rafles et les pépins, en fait tout est mis en kvevri pendant plusieurs mois. Le kvevri étant mis sous terre, la température est contrôlée par la fraîcheur naturelle des sols et tout le cycle de la vinification s’y fait. Il y a l’élément important du savoir-faire et de l’expérience afin de laisser la nature faire son travail avec confiance. La transformation du raisin en vin est surveillée de très près avec des dégustations répétitives.
C’est uniquement en Géorgie qu’on peut parler de kvevri qui se distingue par sa forme et sa fonction des amphores en terre cuite couramment utilisées dans d’autres pays. Quand on parle de 8000 ans d’utilisation des kvevris, je pense qu’on peut affirmer qu’il s’agit là d’une méthode durable et écologique qui a fait ses preuves. D’ailleurs, la vinification en kvevri a été ajoutée comme «patrimoine culturel immatériel de l’humanité» par l’UNESCO en 2013. Et tout récemment, en 2021, on lui donne également le statut d’IGP (Indication Géographique Protégée), ce qui crée un statut légal pour la Géorgie comme étant son lieu d’origine et légifère ainsi tous ses aspects : la forme, le volume, les matières premières utilisées pour sa conception et sa méthode de production. C’est la première fois qu’une IGP est créée pour un élément non-alimentaire. Ne fait pas de kvevris qui veut!
Fait d’argile et en forme d’œuf avec un fond étroit et une large ouverture sur le dessus, le kvevri est enterré et seule la bouche du haut est visible. Utilisé autant pour l’élaboration des vins rouges que des vins blancs, sa contenance varie de 100 litres à 3 500 litres, mais le volume idéal pour la fermentation du vin (prenez des notes!) est de 1 000 à 1 200 litres. Ces amphores sont généralement assez grandes pour qu’on puisse y tenir debout à l’intérieur. Il faut bien y descendre pour nettoyer le tout entre chaque cuvée et c’est même primordial. Naturellement tempéré, c’est l’outil de prédilection pour la fermentation, l’élevage et le stockage du vin.
Ce n’est pas la majorité des domaines en Géorgie qui emploient cette méthode ancestrale. Comme partout, la modernité et la production de masse occupe un grand espace dans le paysage vinicole. Les vignerons qui pratiquent toujours cette tradition ont trouvé collègues, consommateurs, amis et une forte connexion avec le milieu du vin nature. Ils en sont quand même les initiateurs si on revient à l’origine du vin…
«Le vin est la poésie des Géorgiens et leur folklore, leur religion et leur pain quotidien.» - Alice Feiring