Carnet de vigne : Provence

22 au 24 janvier 2025
Domaine Les Terres Promises à La Roquebrussanne (Provence, France)
En arrivant sur le domaine en fin d'après-midi, la lumière de la Provence verte caresse les collines. Sainte-Baume, cette forêt royale protégée qui se situe tout juste derrière le domaine, veille, majestueuse, sur cette terre nourricière.
Jean-Christophe Comor, vigneron, m'accueille avec un regard franc, un rire qui grince un peu, mais surtout une passion brute, palpable. Depuis maintenant plus de vingt ans, son domaine est ce qu’on pourrait appeler une œuvre en cours ; un tableau de cépages et d’idées, de cailloux et de convictions.
« C’est le caillou qui gagne à la fin », dit-il en souriant, mi-philosophe, mi-vigneron.
S'ancrer dans un terroir, partager et transmettre
Certains bâtiments encore jeunes respirent la transition : une cave, une promesse d’espace pour les artistes, et cette incertitude pesante sur le permis de construire, qui ronge doucement. Mais ici, on avance malgré tout, avec le cœur en bandoulière.
Benjamin, le chef de culture, veille sur les vignes. Marin, le fils, s’ancre peu à peu dans ce sol, avec en mémoire ses vignes du Beaujolais, et un vin en commun avec son père : “Ah!?”, cinsault et vermentino, vin muté, intrigant et libre. Une passation douce, entre intuition et complicité.
Puis il y a Comor, ce nom presque effacé par l’histoire militaire française, réinventé sur l’étiquette d’une future cuvée, issue d’un cépage blanc hongrois rare - le ''csomor'' - greffé à la main derrière la cave. Le grand-père serait fier.
‘’Vigneron, c’est trois métiers : viticulteur, vinificateur et éleveur. Ce dernier métier demande de la délicatesse et peut rendre fou.’’
Jean-Christophe, lui, compose comme un écrivain. Antidote, Alibi, Apesanteur… Chaque vin commence par un “A”, par hasard d’abord, puis par jeu. Ses cuvées ont des titres à double sens, qui parlent autant de lui que du vin. On les goûte à la cave : Appel d’air, aérienne et solaire. À bouche que veux-tu, joyeuse, saline. Analepse, charnelle et changeante. Chaque gorgée raconte un paysage intérieur, une résistance douce, un espoir silencieux.
La vigne ici, ce sont dix-huit cépages, dix-sept cuvées, sur vingt hectares en bio. Le plateau, même sec, retient la fraîcheur grâce au calcaire. La parcelle ''Le Conservatoire'', en collaboration avec Le Centre national de sélection de la vigne, expérimente les cépages oubliés et hybrides. La taille en Royat double sur une parcelle de mourvèdre, je m’y essaie un matin : le sécateur électrique, c’est la vie, oui! Mais surtout, c’est une façon de faire partie, un instant, de ce cycle ancien et patient.
(Se) Rassembler
Dans ce métier d’espérance, les solidarités tissent des liens précieux. Avec l'association solidaire Rouge Provence, on partage les récoltes, les galères, les joies. En 2020, quand Jean-Christophe a perdu 70% de sa récolte, ils lui ont donné du raisin. Il n’a pas oublié.
« Nous, on joue une fois l’an, me dit-il. C’est pas comme un cuisinier. » Il parle du vin comme on parle d’un enfant : avec tendresse, avec crainte, avec espoir. Et même quand tout semble se fissurer, il y a toujours ce printemps qui revient.
Le vigneron combat la solitude en rassemblant les êtres, aussi souvent qu'il le peut. Pendant mon séjour, son fils Marin, sa belle-fille et deux artistes sont là. Ils partagent les repas avec moi et animent la soirée de lecture organisée sur le thème du patrimoine, dans une partie de la cave transformée en salle de concert. La soirée se poursuit par une dégustation dans l'autre partie de la cave, baignée d'échanges humains animés et chaleureux. À minuit, sur le chemin du retour, un ciel bleu nuit constellé d'étoiles veille sur mes pas.
Le collier des vignerons
Avant de reprendre la route le lendemain matin, Jean-Christophe me glisse une bouteille d’Analepse 2023, pour le suivant.
Je repars habitée par l'esprit et la beauté de ces terres promises.