Carnet de vigne : Rhône

20 au 22 janvier 2025
Domaine La Grande Ourse à Tulette (Rhône, France)
Il y a des arrivées qui se font sans fracas, avec le parfum discret des histoires qu’on va bientôt partager. C’est Gilles qui m’accueille au domaine. Lui, il file un coup de main à Pascal Chalon de temps en temps. Il aime ça, travailler ici. « Parce qu’il fait les choses bien, Pascal », me dit-il. Une dizaine de cuvées, des essais, de l’audace. Ça sent le vigneron qui explore son terroir, comme il se doit.
Derrière le chai, les oliviers s’alignent. Cent cinquante déjà, deux cent cinquante de plus à venir. Ici, on plante ce que la terre accepte : vignes, garrigue, oliviers… Le plan de plantation est scotché à la porte, comme une promesse.
À bâtons rompus : histoires d'hommes, de vignerons et de famille
À Buisson, le midi, le propriétaire du restaurant nous fait goûter à sa Farigoule : thym citronné, macéré à la manière d’un limoncello. Et l’après-midi, le village se fige. Les obsèques de Viret. Triste murmure d’un homme tourmenté qui a choisi de partir.
Le soir, chez Pascal et Anne. Sur le comptoir, le calendrier lunaire de Michel Gros, compagnon silencieux de tous les vignerons en culture biodynamique. Anne a préparé des pommes de terre à la truffe.... énoooorme! Cueillies « à la mouche » par son père. On ouvre Aether 2023, confidentielle Roussanne, trois cents bouteilles qu’ils se gardent pour eux. Ciselé, tranchant, éclatant. Puis Ursa Major 2022, souple et élégant. Pascal a 53 ans aujourd’hui. Je l’apprends en fin de repas, comme on découvre un millésime après quelques gorgées.
L’histoire familiale plane dans les rangs de vignes : le grand-père maçon et vigneron ayant contribué à la création de la coopérative, le père coopérateur, Adrien le fils maçon aussi, et Hugo, l’autre fils, parti en Corse, chef de cave chez Abbatuci. Chez les Chalon, le vin coule dans les veines et dans les sols.
« Les massales sont de chez moi. Je sais ce que j’ai chez moi et ce que ça goûte. »
Mardi, on visite les vignes : Tulette et Visan, séparées de quelques kilomètres et d’un climat en pointillés. À Tulette, le vent du Pontias préserve du gel. À Visan, c’est la garrigue, la truffière voisine, la syrah nordique. On goûte aux différences de terroir dans chaque grappe. La Petite Ourse, La Grande Ourse… Des parcelles, des cépages, des assemblages qui racontent les nuances du sol.
Dans le chai, je découvre les jus, les essais, les doutes. La cire sur les bouchons, artisanale, sans plastique. Les œufs en béton, les demi-muids, les cuves inox. Les dégustations se succèdent : le vaccarèse épicé, la counoise mentholée, le terret noir austère, le muscardin charmeur. Les jus de presse concentrés, les jus de goutte racés. Tout ici a le goût du temps et du soin.
Le matin du départ, on soutire La Petite Ourse. Hier, c’était trop fermé. Aujourd’hui, c’est prêt. C’est comme ça, le vin : un mélange d’attente, de doute et d’intuition. Et Pascal incarne merveilleusement tout cela, avec une intériorité dense et l'esquisse d'un sourire. L'homme, le vigneron et ses vins gagnent définitivement à être connus.
Le collier des vignerons
Avant de partir, Pascal me glisse une bouteille de La Grande Ourse 2022 pour le suivant. Collier de vignerons, fil invisible qui relie ceux qui font du vin, un langage sincère.