Carnet de vigne : Les Frères Soulier

Carnet de vigne : Les Frères Soulier

24 janvier 2025

Les Frères Soulier, Saint-Hilaire-d'Ozilhan (Rhône, France)

Sur les hauteurs de Saint-Hilaire-d’Ozilhan, la vigne ne pousse pas seule. Elle cohabite, partage et dialogue avec les arbres, les animaux, les pierres, le vent…Et surtout avec ceux qui la cultivent. Chez les Frères Soulier, on parle d’agroforesterie avec une conviction tranquille, celle qui s’enracine dans le temps long, loin des modes et des discours creux.

À la vigne : le geste juste

Le domaine, c’est vingt hectares d’un seul tenant. Un luxe, nous raconte Charles, celui de pouvoir tout faire à pied, de sentir le sol changer sous ses pas, de connaître chaque recoin, chaque souffle de vent, chaque arbre. Dix hectares de vignes, un hectare et demi d’oliviers, qui donnent une récolte généreuse un an sur deux, quatre hectares de pâturage pour les quarante animaux qui broutent, fertilisent, tondent et accessoirement nourrissent quelques restaurateurs chanceux. Deux hectares encore laissés à la forêt, comme un rappel de l’équilibre fragile et nécessaire.

Ici, on ne laboure pas. On laisse la terre respirer, s’autonomiser. Les copeaux de bois, le fumier des bêtes, les feuilles tombées forment un cycle fertile. Le père laissait à peine 1% de matière organique dans les sols. Les fils en sont à 6%, et ils visent plus haut. 8%, puis peut-être un jour 10, 15… Le rythme est lent, exigeant, mais la nature ne se bouscule pas.

Dans les vignes, le paysage se raconte en parcelles : Les Croses, en blanc, là où le sol plus fertile et la fraîcheur s’invitent. La Clastre, chargée d’histoire, ancienne chapelle et bastion du village. L’Oume, Valmal… Autant de noms qui résonnent comme un patrimoine vivant.

Au chai : expérimentation permanente, prise de risque assumée

La dégustation en cave ressemble à un carnet de laboratoire joyeux. Il y a ce Fantôme 2021, blanc de noir de syrah, aérien et surprenant. Les cuvées marquées par le mildiou, 2024 aura été cruelle, 90% de la récolte perdue, mais le choix de ne pas traiter reste ferme. Les vins racontent malgré tout, avec leur trame végétale, leurs nez de fraise sauvage, de rose et de jasmin.

Le Vert de Gris, en oxydatif, force le voile, joue avec les amers, cherche cette salinité brute qui allonge la bouche. Le temps est un allié, même capricieux. Les millésimes de 2021 à 2024 se succèdent à la dégustation, chacun avec ses fulgurances, ses doutes, ses défauts parfois, mais toujours cette sincérité désarmante.

Dans un coin, les amphores patientent, trois ans déjà qu’elles murmurent leur promesse de sauvignon macéré. À côté, la Cartagène, mutée avec des eaux-de-vie de raisin, glisse en bouche comme un clin d’œil à la tradition, douce et malicieuse.

Quand on demande quelle cuvée incarne le mieux l’âme du domaine, la réponse fuse : Valmal 2022, blanc de noir pour son oxydatif, ses notes fumées, son audace maîtrisée.

Le collier des vignerons

Avant de partir, je découvre la bouteille à remettre au suivant : Botrytis 2023, et un magnum surprise réservé aux amis vignerons qui seront au salon Le Vin de Mes Amis, salon vigneron organisé par Charlotte et Jean-Baptiste Sénat. Avec un sourire complice : « Qu’ils se débrouillent pour deviner, ils sont grands! ».

Ici, la vigne est un puzzle patient. Chaque pièce prend du temps, chaque erreur enseigne. Et l’ensemble, fragile et beau, porte un nom : les Frères Soulier.