Carnet de vigne : Dans l'Aude avec Jean-Baptiste Sénat

Carnet de vigne : Dans l'Aude avec Jean-Baptiste Sénat

15 janvier 2025

Domaine Sénat à Trausse (Languedoc, France)

C’est un matin limpide dans le Minervois, baigné d’un soleil qui ne connaît pas l’hiver. Le vent, fidèle habitant de ces terres du Sud, tenace et libre, fouette les vignes et les idées. On arrive au Domaine Sénat comme on entre dans un monde parallèle : un monde où la nature parle fort, et où les hommes l’écoutent avec attention, humilité… et opiniâtreté.

Vent, garrigue et convictions

Jean-Baptiste Sénat m'accueille avec la main ferme et l’œil clair. Ici, la vigne est têtue, enracinée dans des collines de garrigue, dispersée sur 18 hectares qui s’éparpillent sur 15 kilomètres. Certaines parcelles datent de 1947 : de vieux carignans bas sur pattes, taillés en gobelet plein vent. Le geste est ancestral, mais demande une endurance de moine. « Ce n’est pas confortable, mais c’est logique », dit-il. Dans ce climat de feu, la vigne a plus besoin d’ombre que de lumière... Et de travailleurs qui ont le coeur à l'ouvrage.

Tout autour, le sol chante l’argile et le calcaire. Côté ouest, l’influence de la Montagne Noire apporte un souffle de fraîcheur : un delta climatique Est-Ouest que le vigneron apprivoise comme un allié stratégique. Loin de chercher la simplicité, il compose ses vins en assemblages savants, cherchant l’équilibre comme un funambule face au changement climatique.

Ici, la sécheresse est un combat permanent. On plante en janvier ou février pour attraper les pluies d’hiver, on rêve de cépages anciens (picpoul noir, terret noir) pour leur acidité salvatrice. Et surtout, on refuse de tricher. Pas d’irrigation. « On ne peut pas irriguer et se dire nature » tranche Jean-Baptiste. Le mot est lâché, sans détour, comme un éclat de silex : nature, oui, mais avec conscience. Quand une cuve ne tient pas la route, on ne la met pas en bouteille. « La volatile va se placer », très peu pour lui. Ici, on assume.

Autour de la table

À l’heure du déjeuner, c’est sa femme Charlotte (si solaire!) qui mène le bal. Dans la vie comme dans le vin, elle rassemble, cuisine, organise, fédère. Je goûte quelques cuvées pendant qu’elle dépose les plats, dont :

Amalgame 2024 (en cuve), toujours aussi craquant et juteux;

Arbalète et Coquelicot 2024 (en cuve), plus sur le fruit mûr que le millésime précédent;

Ornicar 2023 au fruit tendu, charpenté, qui tient la note comme un souffle long;

La Nine 2023, la cuvée phare, vibre entre force et finesse, un mélange de caractère et de grâce, un dialogue souple entre le carignan, le grenache, le cinsault et la syrah;

Bois des Merveilles 2023, vin rouge profond d'élevage à coucher en cave, tout en densité solaire, nous ramène à la terre, au vieux carignan qui tord ses bras dans le vent.

4 degrés Celcius, ressenti 0

L’après-midi, on plante. 5850 pieds de cinsault en sélection massale, rang après rang. Arroser ou pas? Le débat revient, comme un refrain. Ce jour-là, la réponse est non. On fera confiance à la pluie, ou à son absence. On assumera.

Le collier des vignerons

En repartant, je garde au fond de moi le parfum des herbes sèches, la silhouette des vignes courtes, le goût du vin et le vent, toujours ce vent, qui me chuchote que faire du vin, ici, n’est pas un métier, mais un engagement. Je suis venue apprendre, je repars imprégnée, avec un grand respect au creux du coeur et ...une bouteillle de Bois des Merveilles 2016 pour le suivant!