Entrevue avec Amélie Dubé-Ringuet
Dans le cadre de notre série d'entrevues spéciales avec des femmes inspirantes du vin et de la gastronomie au Québec, on s’intéresse à des personnalités souvent bien connues du milieu de la sommellerie et de la restauration, mais qui méritent aussi de briller aux yeux du grand public!
Pour cette deuxième édition, on a la chance de vous présenter Amélie Dubé-Ringuet!
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DÉCOUVRIR SES VINS COUPS DE COEUR
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Crédit photo: La Voix de l'Est
-Parle-nous de toi. Pour ceux et celles qui ne te connaissent pas, qui es-tu et que fais-tu?
Amélie Dubé-Ringuet, copropriétaire du Chardo - resto & bar à vin.
-Quel est ton parcours? Peux-tu nous raconter ce qui t’as mené à la restauration, au vin et à ton travail aujourd’hui?
Je suis fille de restaurateurs. J'ai grandi dans un restaurant. Mes premières expériences de travail y ont donc naturellement pris place : d'abord à la plonge, puis à la passe, puis en service. Par la suite, j'ai travaillé en service dans à peu près tous les styles de restaurations : bistros, restos classiques, banquets, institutions, bars, clubs, etc. À travers ces expériences j'ai aussi voyagé (bien utile pour l'apprentissage de l'anglais et la découverte de soi), puis j'ai fait une technique en gestion du tourisme à l'ITHQ. Ce qui m'a amené à faire un stage de fin d'études, puis à travailler pour Kava Tours, une entreprise de tourisme sur la Route des vins au Québec, où je suis éventuellement devenue copropriétaire. Cette expérience m'a amenée à approfondir mes connaissances en vin, et particulièrement à tout ce qui a trait à l'histoire, aux vignobles et au vins du Québec.
Je me suis toujours intéressée au vin. Mes parents me faisaient prendre 2-3 gorgées au souper, dès l'adolescence, pour que je m'habitue au goût. Après, mes goûts se sont développés suivant le parcours classique : gros rouges corsés (Liberty school, ouch!), puis blancs très exubérants comme les Kim Crawford et autres affaires à la mode il y a 10-15 ans. Éventuellement j'ai commencé à tourner un peu en rond, je trouvais que tous les vins goûtaient un peu la même chose. Puis j'ai rencontré Xavier Burini, qui m'a introduit aux vins nature. Et c'est comme si un monde complet s'est ouvert à moi. Dans les autres aspects de ma vie, j'ai toujours porté une attention particulière à la façon dont je consommais : acheter à de petites entreprises, supporter l'économie locale, éviter les multinationales et les produits de masse, etc. Mais je n'avais jamais pensé au vin. Tout à coup, c'est devenu une évidence et le vin était tellement meilleur!
Pour en arriver au Chardo aujourd'hui, mon chum de longue date (Anthony Mesko) étant cuisinier, nous avions depuis toujours un plan lointain d'ouvrir un restaurant. Un concours de circonstances et l'appui déterminant de précieuses personnes de notre entourage ont rendu ce projet possible en 2017. Avec mes partenaires, Anthony et Benoit (mon collègue de Kava Tours), il était évident que notre nouveau restaurant servirait des vins nature. Nous avons collectivement choisi de ne servir QUE des vins bio et nature. Nous avions envie de faire découvrir des produits extraordinaires à nos clients, de les informer et de leur partager tout l'éventail de possibilités et de bons moments que ces produits peuvent amener. Je dois dire que nous avons ouvert le Chardo avec une connaissance limitée sur le vin, mais un désir profond de partager notre passion.
-À travers tes années d’expérience, dirais-tu que la clientèle québécoise a évolué dans ses habitudes de consommation de vin et de gastronomie?
Oh oui, à 100%! Ayant ouvert notre restaurant à l'extérieur de Montréal, d'office les gens avaient eu moins de contact avec les vins d'importation privée, bio et nature, ou simplement moins conventionnels. À notre ouverture, ça a été à la fois un avantage et un défi. Les gens sont habitués à aller vers ce qu'ils connaissent, ce qui est naturel. Notre approche nous a différencié des autres.
Les premiers temps, nous passions BEAUCOUP de temps à présenter les vins, notre approche, notre vision. Aujourd'hui, c'est vraiment plus facile. En partie parce que nous avons bâti notre clientèle et que les gens nous font confiance. Nous leur avons fait découvrir des produits qu'ils ont aimé, et maintenant, même s'ils ne connaissent aucun produit sur la carte, ils nous font confiance et savent que nous saurons les écouter et leur servir un produit qu'ils aimeront. Nous sentons un réel intérêt et une ouverture des gens envers les vins nature, et ça valide encore plus notre travail.
Même chose pour la nourriture. Dès le début, nous avons proposé un menu et des produits qui sortaient des sentiers battus, qui plus est, en région. Et aujourd'hui c'est notre marque de commerce, nous en sommes fiers et nous profitons d'une clientèle solide et fidèle. Les gens se déplacent pour manger chez nous et sont aussi prêts à payer un certain prix parce qu'ils comprennent que nous nous approvisionnons localement de produits frais de qualité et que le travail associé à l'offre que nous proposons vaut le prix payé.
Alors après ce roman (ça me passionne beaucoup comme sujet!), oui, à mon avis la clientèle a énormément évolué au cours des dernières années et le visage de la restauration en général va encore beaucoup changer au cours des prochaines.
- D'où vient cet engouement envers les vins naturels selon toi?
Outre la publicité et l'accès grandissant à ce type de produit depuis quelques années, je pense que la clientèle en général, j'entends ici le type de clientèle qui a les moyens, l'éducation et l'ouverture de se procurer le type de produits que nous proposons, porte de plus en plus attention à la provenance des produits qu'ils consomment. On veut un produit éthique, qui respecte l'environnement, qui encourage une économie à l'échelle humaine, etc. L'approche du vin nature cadre à 100% avec cet état d'esprit. Je pense que les gens sont de moins en moins sensibles aux produits créés à la chaîne, sans âme, en quantité industrielle. On cherche des produits faits par des humains, avec un visage et une histoire à partager. Ce qui, évidemment, se transpose dans le goût. C'est vivant, vibrant, ça change d'année en année, et c'est normal!
Ce qui me rend le plus fière dans le cadre de mon travail, c'est quand les clients reviennent pour une seconde ou troisième visite et nous disent qu'ils n'aimaient pas les vins bio/nature avant que nous leur en fassions découvrir. Qu'ils en cherchent maintenant à la SAQ. Que les produits que nous leur servons les faits voyager et découvrir des saveurs qu'ils n'avaient jamais connues et qu'ils en veulent plus.
-Les défis qui viennent avec la crise actuelle sont nombreux. Comment vis-tu ça au quotidien?
La dernière année a mis les restaurants à mal et en situation très précaire. Mais, je pense aussi que ça a forcé les gens à réfléchir à ce que ça représente vraiment un restaurant/bar. Avant, on voyait une assiette, un verre de vin, et le prix payé, sans réelle conscience de tout ce que ces coûts impliquaient. Aujourd'hui, après un an, j'ai l'impression que les gens comprennent mieux la valeur de leur visite au restaurant. Et après plusieurs mois confinés, à se faire à manger à tous les jours, sans contact humain, les clients apprécient beaucoup plus les plaisirs de l'ambiance, des gens, du service. Et un restaurant est aussi une entreprise, dont l'objectif est de faire du profit, comme toute entreprise.
Les défis sont nombreux, ça c'est certain. Nous avons vécu une année bien inattendue, comme tout monde. Nous avons dû être créatifs et nous renouveler comme jamais nous aurions pu anticiper. Ça a du bon, ça nous a forcé à beaucoup d'introspection.
Étant en zone orange depuis quelques semaines, nous avons présentement la chance d'être ouvert, contrairement à beaucoup de nos collègues. Ça fait du bien, assurément, après plusieurs mois en mode survie, sans faire tout-à-fait ce qu'on aime. En tant que propriétaire, c'est une période très stressante aussi. Les conditions sous lesquelles nous sommes autorisés à opérer sont restrictives et exigent beaucoup de temps et d'énergie. Aussi, beaucoup de bons cuisiniers, serveurs, sommeliers, ont choisis de se réorienter vu la précarité du milieu. Un milieu qui était déjà sous haute pression, après des décennies d'emplois avec des horaires difficiles, sous-payés, avec un manque total de reconnaissance des compétences. Nous tenons le coup comme nous pouvons, avec l'espoir que les bons jours reviendront.
D'un autre côté, les gens sont tellement contents de revenir au restaurant, ont tellement envie de vivre l'expérience à nouveau de boire nos vins et de goûter notre nourriture. Ça vaut le coup à 100% et ça nous donne du jus pour continuer. Et on verra pour la suite.
-Penses-tu que le visage de la restauration sera changé après tout ça?
L'après-covid est rempli d'incertitude. C'est difficile à imaginer. Juste penser à une table de 10 est étrange. Travailler sans masque… le rêve! On aura tous plus de rides après, à force d'avoir souri avec les yeux, hahaha!
-Dans ton travail relié à la sommellerie, comment décrirais-tu ta relation avec les agences d’importation privée?
Beaucoup de plaisir. Je ne suis pas sommelière de métier, j'aime le vin et j'ai beaucoup appris sur le vin depuis que j'ai un restaurant. À travers les années, j'ai eu à gérer la portion sommellerie de notre entreprise à différents moments. C'est une grosse tâche, ajoutée à celles que j'ai déjà, mais j'y prends un réel plaisir. La relation avec les représentants des agences est un des aspects humains que je préfère. Nous apprenons à les connaître, nous développons une relation, nous dégustons du vin ensemble. (en plein après-midi!) Ils nous racontent des histoires et nous présentent les humains derrière les produits, ce qui nous permet de partager toutes ces histoires à nos clients.
-On se fait régulièrement demander des conseils pour des accords mets & vins. En tant que professionnelle, as-tu des trucs à partager? Peut-être quelques grandes lignes de base pour des accords réussis?
Je dois dire que c'est un des aspects que je trouve le plus difficile de mon métier de restauratrice. Ma façon de répondre aux questions d'accord mets-vin est plutôt instinctive. Je pense au plat, puis aux saveurs que j'aimerais avoir sur mes papilles avec les saveurs du plat. Généralement, ça fonctionne bien. Parfois j'ai une idée d'accord, je demande à la cuisine une cuillère de telle ou telle sauce et je teste avec une gorgée du vin que j'ai en tête. Ça se passe bien, de mieux en mieux, mais j'ai encore tellement à apprendre sur ce sujet.
La réalité en service, par contre, est souvent bien différente. Par exemple, prenons une table de 4 personnes. Deux d’entre eux ont commandé du poisson, une le risotto et la quatrième une viande rouge. Ils nous demandent un vin qui s'agencera pour tous. Hmmm… Au début je me cassais la tête, aujourd'hui, je prends ça avec le sourire et je dis simplement aux gens que c'est impossible. Si vous souhaitez des accords, laissez-nous vous proposer des vins au verre. Si vous voulez absolument une bouteille, on vous proposera quelque chose qui cadrera avec vos goûts et grosso modo ce que vous mangez, mais ce ne sera pas un accord.
Ou bien, ça arrive qu'on nous demande un accord avec, disons, un plat de poisson. «Il faut absolument un vin rouge et pas un vin léger.» Souvent je finis par dire aux gens que j'aurai beau leur proposer le meilleur accord possible avec leur plat de poisson, mais que s'ils ont vraiment envie d'un verre de Chianti, ils vont le trouver bon et passer un bon moment. Même s'il s'accorde vraiment moins bien que le riesling que je leur aurai proposé.
La parole est à toi. Est-ce qu'il y a un sujet qui te tient à coeur? As-tu des réflexions, des rêves ou des frustrations que tu voudrais partager?
Je suis très heureuse que les vins nature se démocratisent tranquillement. On en parle, on apprend à les aborder, on comprend de mieux en mieux les raisons derrière ces nouveaux goûts qui sortent de ce qu'on a connu depuis toujours. Et, au Chardo, nous sommes chanceux parce que nous sommes maintenant ouverts depuis quelques années et que les gens viennent, en partie, précisément pour cette expérience. Mais j'avoue être de plus en plus exaspérée quand j'entends des gens dire : «Oh moi, le vin bio/nature, j'ai essayé une fois et j'aime pas ça!». C'est quelque chose que j'ai beaucoup de difficulté à comprendre. C'est comme dire : «J'ai essayé le brocoli, j'aime pas les légumes.». Cette fermeture d'esprit me dépasse un peu. Comment peut-on généraliser à ce point? Le spectre de goût des vins nature est tellement large. Certains font des vins très classiques, précis, d'autres des vins funkys et hors des sentiers battus. À chacun de trouver son genre, c'est tout. Mais c'est difficile de changer la perception de quelqu'un qui part avec une opinion négative avant même de goûter. Et avec ces gens, 90% du temps, si on n’avait pas mentionné que c'était un vin bio, la personne aurait apprécié le produit servi et n'aurait rien remis en question.
Mon plus grand souhait, si je suis élue Miss Monde, c'est la paix dans le monde, et l'ouverture d'esprit pour tous! ;)
COUPS DE COEUR
-Peux-tu nous partager un coup de cœur pour un domaine ou un.e vigneron.ne du Vin dans les Voiles et nous dire pourquoi?
Tough call...
J'aime beaucoup la précision du domaine GESCHICKT. On ne se trompe jamais.
J'aime aussi les vins de Jàn Zaborsky, le vigneron de PIVNICA BRHLOVCE en Slovaquie. C'est différent, c'est goûteux, c'est frais et c'est boooonn!
Mais je vais y aller pour les amis de chez KTIMA LIGAS en Grèce. L'originalité, les saveurs, la puissance, la vibrance... du pur bonheur à chaque fois!
Et parmi les vins en stock, peux-tu en nommer 3 qui te font vibrer et nous dire pourquoi?
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DOUBLE ZÉRO - CRÉMANT D'ALSACE, DOMAINE GESCHICKT
« Ha! le crémant d'Alsace. Une cuvée à l'image du domaine : subtile et précise, toute en délicatesse et désaltérante à souhait. Du vrai bonheur! »
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NOBL SEDIMENT 2019, PIVNICA BRHLOVCE
«Un gruner veltliner tellement différent de ce qu'on goûte généralement. Cette année un peu plus mûr que la cuvée que nous avions précédemment. Le côté herbacé typique du cépage avec plein d'ampleur, une belle acidité, c'est super vivant et équilibré.»
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CHAMP BLANC 2018, JULIEN MERLE
«Une superbe expression du Beaujo. Du gamay goûteux et concentré, tout en fraîcheur, gouleyant. Avec une petite touche de swag en prime :) »
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Amélie, un gros merci de ta générosité, de ta franchise et de ton ouverture. La grande région de l'Estrie est chanceuse de t'avoir, Le Chardo est définitivement un incontournable! On te souhaite le meilleur pour les mois à venir, à toi et à ton équipe et on se souhaite encore une longue collaboration avec toi. Santé!