Carnet de vigne, carnet de voyage # 1

Carnet de vigne, carnet de voyage # 1

12 au 15 janvier 2025

Domaine Les Hautes Terres à Roquetaillade (Languedoc, France)

Janvier. Le vent souffle fort dans les hauteurs de Roquetaillade, petit hameau du Languedoc accroché à flanc de colline, à 400 mètres d’altitude. Les vignes, encore nues, attendent leur réveil. Pendant trois jours, j’ai eu la chance de vivre au rythme du Domaine Les Hautes Terres, là où les paysages sont amples, les gestes précis et la vision à long terme.

Ici, tout est à la fois simple et ambitieux. Gilles Azam et Geneviève De Groot, couple dans la vie comme dans le vin, avancent avec conviction, dans une région où 80% des vins sont faits par des coopératives. À Roquetaillade, c’est l’inverse : cinq ou six vignerons, tous en bio, forment un îlot de résistance, ou peut-être un avant-poste.

La finesse des détails

Le domaine s’étend aujourd’hui sur deux entités : les vignes historiques autour de la rue du Château, et le domaine de Cairac, racheté récemment à Antugnac. Ce dernier, avec ses 150 hectares de nature brute (forêts, landes, champs, vignes, chantiers et même panneaux solaires) est en pleine transformation. Tout est en mouvement : conversion bio, replantation, construction du chai, et bientôt, leur future maison.

Mais l’ampleur du lieu ne fait pas oublier la finesse des détails. Ici le merlot y devient un blanc de noir; là, certaines zones classées VDP accueillent des parcelles de cabernet franc. Chaque choix est pensé, pesé, discuté. « Si tu n’as pas d’objectifs, tu es foutu », dit Gilles. Il en a, et il les poursuit, avec la rigueur d’un vigneron technique et le cœur d’un créateur. À ses côtés, Geneviève, femme-orchestre partout à la fois, à la vigne en train de planter, d'attacher (avec une patience d'ange envers moi qui ai dû ralentir son efficacité habituelle par quatre!), de tailler, mais aussi au bureau à dessiner l'image de marque avec un sens remarquable du beau, de gérer l'agenda, coordonner les visites, les salons, les commandes... Quelle énergie!

« Dans le monde du vin, c’est vite la convivialité qui l’emporte. » – Geneviève De Groot Azam

Ce qui frappe ici, c’est l’équilibre entre nature et maîtrise. Les vins sont droits et élégants, à l'image de Geneviève et Gilles. Le terroir et l’altitude apportent fraîcheur et vivacité, mais c’est la technique qui assure la netteté. Froid maîtrisé, hygiène stricte, fermentation lente — c’est la recette pour un vin nature « propre », comme le rappelle Gilles. Même les noms des cuvées, souvent poétiques, sont choisis avec soin : Céleste, L’air du Paradis, Panorama, ou encore Le Jardin des Délices, clin d’œil à Jérôme Bosch et à la symbolique d’Adam (Azam en hébreu) & Ève (GeneviÈve).

Le quotidien, lui, reste ancré dans le vivant. Il faut gérer la faune sauvage (sangliers, mouflons, cerfs) parfois à coups de compromis avec les chasseurs. Il faut aussi jongler avec les maladies (la flavescence dorée a déjà emporté un hectare). Et dans tout ça, les ânes, les enfants, les huit comptes bancaires, les prestations de tirage, les conseils prodigués ici et là aux vignerons. Gilles et Geneviève font tout, à la fois, et avec le sourire.

C’est un lieu où l’on parle de vin à bâtons rompus, où l'on partage une bouteille en parlant architecture, solera, et climat. Un lieu qui rappelle qu’en haut, là-haut, le vin est une manière d’habiter le monde avec rigueur, douceur, et une solide touche de poésie.

Le collier des vignerons

En partant du domaine, Gilles et Geneviève m'ont remis, entre autres, une bouteille de la cuvée Panorama rosé 2023. Ils ont ainsi initié ce que j'appellerai tout au long du voyage le collier des vignerons. Ainsi je passerai la bouteille au prochain domaine visité, comme une grande chaîne invisible de solidarité et de convivialité. Cet élan très naturel de générosité m'a réchauffé le coeur et rappelé à ma petite enfance en campagne, à troquer des paniers de framboises de nos terres en échange d'oeufs du poulailler voisin.